Une rentrée sans « si » – Texte: Sophie Barnabé

Première journée d’école. À la radio, on demande aux parents comment ils vivent cette étape… Il y a quelques rares spécimens qui semblent plus confiants ; leur enfant est un p’tit vite et tant mieux ! Toutefois, à écouter les commentaires, ça ne ment pas : l’anxiété est sur toutes les lèvres ! Même toi, t’en parles pas trop, mais tu le ressens déjà. Ton p’tit est anxieux pis ça te tord en dedans quand tu le vois rouler ses mains moites dans le bas de son chandail. Et tôt ou tard, il aura mal au ventre…

J’te comprends donc ! Les miens n’y ont pas échappé… J’avais pourtant lu tous les livres sur la parentalité, appliqué leurs meilleures astuces, écouté les conseils de l’une puis de l’autre… J’me revois encore le premier matin d’école, marcher main dans la main avec mon plus vieux. Qu’il était donc fier avec ses souliers qui faisaient de la lumière ! Il y a plus de quinze ans maintenant. Ce matin‑là, mon cœur jouait au yoyo entre l’envie de le laisser aller et celle de le retenir… juste un peu. Mon esprit imaginait la cour d’école comme une fausse aux lions.

En chemin, j’lui répétais ce qu’il avait dans son lunch, qu’il devait remettre la fiche santé à son professeur, bla bla bla, tu connais ça. Bienveillante, j’lui prodiguais de bons conseils parce que je voulais que tout se passe bien. « Si un ami n’est pas gentil, tu iras voir ton professeur ? », « Si jamais tu te sens stressé, respire. », « Si ça va trop vite, demande à ton professeur de ralentir un peu… ». SiSi… Quand on commence une phrase avec un « si », c’est souvent comme si on appuyait sur le bouton panique avant même que le danger ne se présente. À force de vouloir prodiguer à mes enfants de Si bons conseils pour que tout aille bien, je leur ai inculqué l’anxSIété ! Oui, oui, l’anxSIété ! Souviens-toi de ça !

À force de « si », j’ai inculqué à mes enfants qu’il y avait potentiellement un danger partout et je leur ai fait penser à des situations qui n’arriveraient peut-être jamais ! Je voulais juste bien faire… On veut toutes bien faire.

Depuis quinze ans, des matins où ils restaient figés, des crises de larmes, des crayons que la rage a brisés, des devoirs chiffonnés, j’en ai vu, t’as pas idée ! Combien de fois le sentiment d’impuissance devant leur souffrance ou celui de l’incompétence m’a fait pleurer en silence ?! Et si c’était moi qui avais provoqué, du moins en partie, cette maudite anxiété ?

Avec le recul, j’estime que mes enfants ont peut-être vécu une quinzaine de situations conflictuelles par année scolaire. Ils se sont fait écœurer par les grands, rejeter par les amis, ont eu le souffle coupé après avoir reçu la garnotte de l’année au ballon chasseur… Malgré tous mes « si »… ben oui !

Avoir su que tout ce que j’anticipais était inévitable, je me serais contentée de gérer le problème au moment où il arrivait pour ensuite passer à un autre appel. Tout compte fait, cette quinzaine de situations par année a mis un nuage sur l’équivalent d’une trentaine de journées sur les cent quatre-vingts jours prévus au calendrier scolaire. Est‑ce que ça valait vraiment la peine que je prévienne mes enfants et qu’ils soient sur leurs gardes pratiquement tous les jours, juste au cas ? Pas du tout ! À trop vouloir prévenir, sans m’en rendre compte, j’entretenais l’anxiété à grands coups de Si !

À bien y penser, peut-être vaut-il mieux remplacer les « si » par des silences, par un « ben oui mon grand, ça arrive ! » ou par le mot « essaie »… Les défis qui appartiennent à ton enfant n’appartiennent à personne d’autre, même pas à toi. C’est ça apprendre la vie. Tout ce que tu fais instinctivement pour l’empêcher de souffrir peut même lui nuire ! Lâche prise. Plus facile à dire qu’à faire, tu m’diras, mais crois-moi, je suis passée par là.

Ton p’tit vient d’entrer à l’école… Reste tout près, garde l’œil ouvert bien sûr, mais laisse-le expérimenter. Contente-toi d’être la maman, c’est déjà bien assez ! J’te l’dis, j’aurais dû laisser mes enfants tomber pour qu’ils apprennent à se relever par eux-mêmes plus tôt dans leur vie. Ça leur aurait bien servi !

Notre job de mère, ce n’est pas celle d’un agent de sécurité ni celle d’un psy. Ce n’est pas non plus de paver le chemin que notre enfant décide de prendre. Notre job, c’est de le guider, de l’encourager quand sa route sera cahoteuse, de lui ouvrir nos bras quand il aura besoin de pleurer et de lui apprendre à s’aimer tel qu’il est.

Bonne rentrée sans trop d’anxSIété !

 

Sophie Barnabé



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